David Mervart (Université d’Heidelberg) « Europe under the Warring States Period »

17 juin – Les Rencontres du GEHM – Paris, EHESS

À partir de la fin du XVIIIe siècle, la géopolitique et la dynamique historique du monde européen ont suscité un intérêt accru de la part de certains Japonais qui, sur le plan linguistique et philologique, étaient capables d’interroger des sources européennes (ou du moins les traductions et les extraits de ces sources qui leur étaient parvenus). Cette activité intellectuelle a conduit à une prolifération d’histoires, de géographies et de traités politiques qui ont tenté de donner un sens au monde lointain des « barbares occidentaux » et qui essayaient d’expliquer les dynamiques qui avaient amené l’Occident à une hégémonie du monde. Dans ce cadre, les savants japonais faisaient souvent référence à quelque chose de bien connu pour toute personne instruite de la vaste sinosphère est-asiatique : il s’agissait de la situation désordonnée et conflictuelle de la période dite des Royaumes combattants, un topos historiographique établi pour la période déchirée de la Chine post-classique à la fin de la dynastie Zhou. Selon le portrait que l’histoire « universelle » (c’est-à-dire « chinoise ») a fait des Royaumes Combattants, il existait à cette époque-là une pluralité d’États qui, dépourvus de toute référence à une autorité morale et concentrés sur leurs intérêts particuliers, se faisaient concurrence par tous les moyens disponibles, y compris l’armée. Ce topos historiographique a été repris au Japon au début du 19e siècle afin de soutenir que la trajectoire historique récente de l’Europe était la même que celle de la période des « Royaumes combattants ». Ce procédé historiographique avait un double but : d’une part, décrire avec une métaphore familière la situation géopolitique que l’Occident avait générée et vers laquelle le Japon et toute l’Asie orientale étaient irrémédiablement amenés ; d’autre part, fournir une explication cruciale du type de lieu où se trouvait l’Europe et du type de modus operandi que l’on pouvait attendre des Européens. Alors que le 20 siècle a assisté à une reformulation des historiographies non-européennes dans les termes de l’historiographie européenne, cet épisode de l’historiographie japonaise du 19 siècle nous offre l’image d’un passé européen rationalisé selon les catégories meta-historiques qui ont régi les traditions historiographiques de l’Est asiatique. En présence de l’auteur le débat sera animé par Pablo Blitstein (GEHM).