Laurent Joly
Dès 1945, face à l’épuration, les dirigeants de Vichy, Pétain et Laval les premiers, ont ainsi justifié leur politique contre les Juifs : sous la pression allemande, ils ont dû, pour protéger les Français « israélites », abandonner les étrangers à leur triste sort. À l’époque, les mécanismes de la collaboration d’État n’ont pas encore été mis au jour et l’on ignore le détail des chiffres. La thèse du « moindre mal » paraît logique, surtout quand l’on compare les statistiques de la « Solution finale » en France aux bilans glaçants de l’extermination en Pologne, en Allemagne ou aux Pays-Bas.
Or, dès les années 1950, les travaux sur la persécution des Juifs de Joseph Billig, Léon Poliakov ou Georges Wellers, fondés sur les archives, ont réduit à néant ce postulat du « moindre mal ». Se déclenche alors un mouvement qui, depuis près de soixante-dix ans, tente de faire la lumière sur les responsabilités réelles de chaque échelon de la hiérarchie étatique dans la politique antisémite de Vichy.
Le présent dossier rend compte de cette historiographie et de son essor depuis les sommes fondatrices de Marrus et Paxton (Vichy et les Juifs, 1981) et de Serge Klarsfeld (Vichy-Auschwitz, 1983-1985), parues dans un contexte mémoriel dominé par le souvenir de la Shoah et rythmé pendant une décennie par les affaires judiciaires (Leguay, Bousquet, Papon, etc.). L’état des connaissances présenté ici se concentre donc sur les dirigeants et l’appareil administratif de Vichy ainsi que sur le rôle de l’opinion française dans l’évolution de la persécution raciale, questionnant les faits d’hier et leurs interprétations à la lumière des recherches les plus récentes.