Dialectique du monstre. Enquête sur Opicino de Canistris

Sylvain Piron

Fonctionnaire de l’administration des papes d’Avignon, Opicino (ou Opicinus) de Canistris (1296-1355) a produit, pour son propre compte, des diagrammes déconcertants où se mêlent cartes et corps, symboles astraux et religieux. Exhumés peu à peu au cours du siècle passé, ses manuscrits suscitent encore de nombreuses interrogations. Sous la forme d’une enquête, Dialectique du monstre explore les différentes facettes d’une œuvre complexe et fascinante.
Prêtre séculier de Pavie, fuyant les conflits politiques qui déchiraient la Lombardie des premières décennies du XIVe siècle, Opicino s’est réfugié à la cour papale à Avignon où ses talents d’écrivain lui ont valu un poste de scribe à la Pénitencerie pontificale. Tourmenté par ses responsabilités sacerdotales, souffrant des paradoxes d’une Église romaine riche et puissante qui prône la pauvreté et l’humilité, il a trouvé dans l’écriture et le dessin un moyen d’apaiser ses angoisses. Ayant appris à dresser des cartes marines selon la technique des cartographes génois, la géographie du bassin méditerranéen devient entre ses mains le support d’une symbolisation de tous les conflits qui le déchirent.
L’hypothèse de troubles psychotiques chez Opicino a plusieurs été plusieurs fois formulée et souvent rejetée. Elle est ici affrontée sans fard et fait l’objet d’une postface d’un spécialiste des psychoses (Philippe Nuss). S’il est illusoire de formuler un diagnostic rétrospectif précis, sa souffrance psychique ne fait du moins aucun doute. C’est pour en comprendre les raisons que cet ouvrage tente de restituer le sens de la production graphique et textuelle du scribe des papes. Afin de donner à entendre sa voix, des traductions de différents passages de ses écrits sont intercalées entre chaque chapitre. Une vingtaine de reproductions en couleurs et trois dépliants hors-texte font entrer dans l’intimité de ces manuscrits étonnants.
« Dialectique du monstre » (Dialektik des Monstrums) : par cette expression, Aby Warburg désignait le drame psychique fondamental de la culture, dont les réalisations ne viennent au jour qu’en surmontant un chaos originaire, dont elles laissent cependant affleurer la trace. Les dessins d’Opicino de Canistris exposent au grand jour, de la façon la plus explicite, la bataille qu’il livre contre ses monstres.

 

La citoyenneté au temps de l’« intégration civique » : regards croisés France/Canada

Myriam Hachimi-Alaoui, Delphine Nakache, Janie Pélabay, Elke Winter et Yann Scioldo-Zürcher (dir.)

Revue Européenne des Migrations Internationales, vol. 36, 4, 2020

Au cours des années 2000, les politiques d’immigration et d’intégration adoptées par divers pays d’Europe et d’Amérique du Nord donnent lieu à la formulation d’un nouveau paradigme d’action publique, qualifié d’« intégration civique ». Ces politiques, telles que les tests et cérémonies de citoyenneté, les formations civiques ou la signature de contrats d’intégration, sont largement présentées comme marquant un « tournant » qualifié de « civique » (« civic turn »). Les reconfigurations à l’œuvre consisteraient, d’une part, à imposer des contraintes plus fortes aux personnes étrangères en matière de titres de séjour ou d’acquisition de la nationalité et, d’autre part, à promouvoir une conception plus « épaisse » (« thick ») de la citoyenneté, où prime la dimension identitaire de l’appartenance à la communauté nationale. Ce numéro spécial a pour objet d’examiner deux cas encore peu étudiés à la lumière du paradigme de l’« intégration civique » :  la France et le Canada. À l’aide d’analyses qui allient recherches empiriques et approches théoriques, et qui entrecroisent sociologie, anthropologie, droit, philosophie et science politique, il s’agit de comprendre si les reconfigurations mises au compte d’un « tournant civique » sont en cours dans ces deux contextes spécifiques, et quelles sont leurs éventuelles incidences, pour les migrant.e.s, en termes d’inclusion/exclusion et, pour la société d’installation, en termes de conception du « nous ».