Yannis Tsiomis
La création d’un État moderne pose, entre autres questions majeures, celles de la fondation de sa capitale, de l’architecture de la ville, de ses formes et de ses usages, mais aussi celles du territoire national, de la transformation de l’espace public, de sa gestion. Une telle fondation implique aussi la mise en place de dispositifs tout à fait inédits : nouveaux règlements et nouvelles lois, nouveaux métiers et nouveaux acteurs, soit autant de ruptures par rapport à la situation antérieure. À ces égards, la fondation d’Athènes, en 1833, comme ville-capitale de l’État néohellénique constitue un cas exemplaire. La Grèce, sous la tutelle des Bavarois, dut alors se construire en État « moderne », et, pour cela, rompre avec le monde ottoman « oriental ». Cette mission incombera à des ingénieurs et des architectes français et allemands qui furent chargés d’œuvrer en Grèce et d’inventer Athènes et son plan, confrontant ainsi les acquis de leur formation effectuée à Paris, Munich et Berlin aux archétypes architecturaux de la Grèce antique : à travers les parcours de ces nouveaux professionnels, c’est, déjà, la mobilité européenne qui apparaît. Ce livre abondamment illustré, né du dépouillement d’archives, de documents inédits ou revisités (tel le premier plan de la capitale), explore le rapport entre cette « affaire artistique européenne » que fut, selon l’architecte allemand Leo von Klenze, la naissance d’Athènes, et l’enjeu politique, idéologique que constitua la Grèce du début du XIXe siècle pour l’Europe. On y perçoit combien l’usage de l’Antiquité à Athènes revêtit le visage de Janus : argument historiciste assurant une continuité à la fois fallacieuse et nécessaire, mais aussi vraie légitimation de la modernité.